LES LUTHIERS FACE AU COVID

Entretien avec Fred Pons (Kopo Guitares)

Le président de l’APLG fait le point sur la crise du Covid-19 et son impact sur le secteur de la lutherie guitare.

Notons par ailleurs, en liaison directe avec ce sujet, le travail de Jacques Carbonneaux au sein de la CSFI (Chambre Syndicale de la Facture Instrumentale), qui vient de publier un « Guide des bonnes pratiques » à l’attention des magasins de musique et des ateliers de lutherie, ainsi qu’une « Lettre à destination des musiciens » (documents téléchargeables sur le site : www.csfi-musique.fr), et qui publiera très prochainement des guides pratiques par famille d’instruments, dont le premier devrait être consacré à la guitare.

Fred, sur un plan personnel, comment as-tu vécu cette période de confinement ?

J’ai honte de le dire – parce c’est pas forcément facile pour tout le monde – , mais mon vécu a été plutôt « heureux ». Je n’ai pas vu de client depuis huit semaines, mais je m’en suis passé. Je n’ai d’ailleurs pas fait une seule réparation, même si j’en ai en attente, qu’il va falloir que je me décide à faire ! Mais comme j’ai du travail, que mon atelier est en face de la maison, et que donc je n’ai pas été plus « confiné » que d’habitude côté professionnel, je me suis énormément concentré sur des fabrications pour des clients, plus deux guitares que j’ai décidé de faire un peu dans un esprit série « confinement » justement, des instruments que j’avais en tête et envie de faire. Donc voilà, j’ai eu la sensation d’avoir du temps, pas forcément plus que d’habitude, mais surtout de prendre plus mon temps, en travaillant un peu plus tranquillement, en faisant d’autres choses à côté que je ne faisais pas, comme un peu plus de jardinage (c’est la saison !), un peu plus de déplacements à vélo… Donc c’est presque un luxe  ! Evidemment, la musique me manque, avec les copains ! La vie sociale, comme à tout le monde. Mais professionnellement, j’ai passé une période extrêmement heureuse, puisque j’avais beaucoup de boulot, et que j’ai même pris des commandes entre-temps, pendant le confinement. Donc « perso », tout va bien !

As-tu des remontées concernant d’autres luthiers et d’autres situations, notamment pour les membres de l’APLG ?

Pour ce qu’on sait, dans la lutherie guitare, il y a les bons côtés, un peu à l’image de ce que j‘ai vécu sur le plan personnel, ce côté « hors saisons ». On a toujours été un peu en dehors des grandes vagues économiques, des crises, puisqu’on est relativement à l’écart de ces grands mouvements, notamment ceux qui ont un peu de travail d’avance en fabrication, et même parfois en réparation. En effet, comme les luthiers travaillent seuls et qu’ils n’ont pas besoin de recevoir des dizaines de clients par jour, pour une partie d’entre nous, ça s’est plutôt bien passé. Mais évidemment, une grande partie a également souffert, notamment ceux qui font beaucoup de réparations, ou qui n’avaient pas suffisamment de commandes. Une majorité d’entre eux a fait appel aux aides de l’Etat, jusqu’à 1500 euros. Une des difficultés était de ne même pas pouvoir livrer de guitares (ça a été mon cas, mais ça s’est arrangé avec les clients). Heureusement, la plupart d’entre nous avions du bois d’avance. D’autre part, les fournisseurs de matériel, qui sont nos partenaires tout au long de l’année (je pense notamment à Fred’s Guitar Parts), ont assuré une permanence pour les expéditions. Mais il y a aussi un mauvais côté du problème pour les luthiers guitare. Pour ceux qui vivent surtout de la réparation, ça a été effectivement un sale coup. Et comme – ça c’est une réalité de nos métiers –, on vit la plupart du temps avec une trésorerie très tendue, il n’y a pas de quoi tenir deux mois sans rentrée d’argent. Après, psychologiquement, d’après les échanges que j’ai eus, tout le monde a vécu les choses relativement bien, parce qu’on est habitué à travailler chez soi et seul. Partant de là, c’est pas quelque chose d’extraordinaire. Encore une fois, quand « les planètes sont bien alignées », c’est même parfois l’occasion de faire un recentrage très salutaire.

A ton avis, quelles sont les mesures urgentes à prendre pour les plus fragiles d’entre vous ?

La possibilité de rouvrir au plus vite, en assurant un protocole de distanciation tout à fait classique, le même que pour les magasins, mais en plus facile, parce qu’on a rarement trois clients en même temps dans l’atelier ! Avec des aides et des soutiens en matière de masques et de produits, pour assurer une qualité sanitaire minimum. Ça, ce sont les aspects à très court terme. Puis, à moyen terme, comme l’a listé Jacques Carbonneaux pour la CSFI : soutien à la recherche, aux actions de communication, en France, et soutien aux actions à l’export pour les gens qui le souhaitent et qui font du haut de gamme. Voilà ce qu’on peut souhaiter. Et continuer à bénéficier de facilitations de la part de l’administration, pour ceux qui mettront quelques mois à se redresser des difficultés financières dans laquelle ça les a amenés.

Un mot de conclusion, relatif à une activité qui se révèle finalement, notamment à l’occasion de cette crise, de plus en plus « tendance » (production « locale », en petites quantités, respectueuse de l’environnement, etc.) ?

On est effectivement assez représentatifs de ce vers quoi le monde devrait s’orienter ! Ça, c’est extrêmement positif, et ça nous saute à la figure. Je pense que c’est une évidence tout d’un coup pour plein de gens, sur les réseaux sociaux en particulier… Il y a des initiatives, comme certains luthiers du quatuor en ont pris, de proposer de se déplacer, pour aller chercher des réparations, aller à la rencontre des clients. Je sais que certains luthiers guitare l’ont fait. Là il y a des idées, il faut être « créatif », comme dit l’autre. Donc globalement, oui, si notre société sort de cette crise, pour ceux qui travaillent, comme c’est le cas pour beaucoup d’entre nous, autant avec des amateurs éclairés qu’avec des professionnels, on correspond à cette réalité vers laquelle on voudrait tous aller : le circuit court, le consommé local, le produire local, en effet. Pour ça, on aimerait qu’on parle un peu plus des luthiers à l’avenir qu’on ne l’a fait auparavant ! Ce qui permettra peut-être d’équilibrer les difficultés liées à la crise en général. Car il n’y a pas de pas de « saisonnalité » dans notre métier, on est un peu en dehors de ces influences-là, mais quoi qu’il en soit, le monde de la culture ayant été frappé assez fortement, il va y avoir forcément des conséquences pour l’économie des instruments de musique en général, y compris pour la lutherie. Parce qu’on est quand même toujours un peu le « produit de luxe ». Pour le budget moyen d’un bon père de famille, c’est toujours plus important de changer sa voiture, et c’est normal, que de s’acheter une guitare ! Mais effectivement, il y a cette autre tendance, salutaire, saine, de retour à une consommation choisie, de proximité, qui va jouer en notre faveur, je l’espère. Je l’ai d’ailleurs déjà senti un peu, ces derniers temps, par les quelques contacts que j’ai pu avoir.

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