ROCK’N’ROLL SHOW

Rock’n’Roll Show

Le décryptage de Denys Lable

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« Il y a trois versions de Roll Over Beethoven, Chuck Berry, les Beatles et les Parses ! », lance Denys Lable en guise de boutade, à propos du « Rock’n’Roll Show », hommage posthume à Dick Rivers reprenant un spectacle de 1990 piloté par Francis Cabrel, qui se concrétise aujourd’hui par un généreux coffret CD/DVD paru chez Aztec Musique, dont Denys a assuré la réalisation. 

De guitare, il sera évidemment question dans cette histoire, ne serait-ce que parce que Cabrel, particulièrement investi dans le projet, n’en utilisait pas moins de trois sur scène aux côtés de Rivers au cours du spectacle : une Gibson 335, une Gretsch 6120 (le modèle d’Eddie Cochran) – spécialement achetée pour l’occasion, et une acoustique (une Franck Cheval semble-t-il !). Quant à Denys (guitariste soliste des « Parses »), son choix s’était porté sur Fender, avec deux Strat, flanquées d’une Silvertone pour les open tunings. « L’alliage des deux sons de grattes, c’était vraiment bonnard !, note Denys. Par moments, ça m’évoquait un peu Lennon/Harrison. Il y avait un truc de groupe. » 


Quelle était ta place dans ce projet à l’époque ?
Je ne reviens pas sur la rencontre entre Cabrel et Dick, qui remonte au tout début des années 80. Mais suite à une soirée mémorable à l’Olympia, un hommage aux Beatles où Dick avait fait un succès énorme avec Ticket to Ride, Francis a eu envie de monter un spectacle rock’n’roll avec lui. Et Rivers a appelé ça le « Rock’n’Roll Show » ! Cabrel m’a appelé, ainsi que son pianiste/chef d’orchestre, Gérard Bikialo, avec qui on venait de faire « Sarbacane ». De l’autre côté, il devait y avoir Slim Batteux, qui faisait partie de l’entourage de Rivers. C’est une fusion de deux horizons. On s’occupait pas mal des répétitions, mais c’est Cabrel qui avait organisé tout ça. Il a fait appel à moi entre autres pour tenir la lead guitare et la guitare électrique dans ce spectacle.

Comment les choses se sont-elles mises en place ?
Après une tournée acoustique au Québec avec Cabrel en mai, on s’est mis à attaquer le R&R Show au mois d’août 1990. Répétitions dans le plus grand confort, chez Hocco, haut lieu de répétition de tous les spectacles à l’époque. Tout ça pour jouer du Presley, du Cochran, du Chuck Berry, du Little Richard et autres ! Donc c’était quand même assez génial comme dynamique, comme plaisir. C’était un moment assez magique. On a répété pendant un mois, le temps qu’on prend en général pour monter un spectacle. Et en septembre, on a fait 10 jours au Bataclan, avant de partir en tournée, environ 3 semaines sur les routes, au mois d’octobre 1990.

LES PARSES CABREL LABLE RIVERS
Les Parses (le nom du groupe fut trouvé par Dick Rivers).

Ton ressenti sur les ambiances ?
C’était un plaisir particulier de faire ce spectacle-là, parce qu’on l’a fait « en grand », pas comme une parenthèse, où entre potes on va se jouer des choses comme ça. C’était un « vrai » truc, fait dans une relative discrétion à cause des enjeux avec les maisons de disques (Cabrel venant « d’exploser » à partir de « Sarbacane »). Donc ça n’a pas été possible de faire un album à l’époque, mais il y a eu des enregistrements, pour qu’on garde des traces pour nous. Et à Villeneuve-sur-Lot (dans les contrées de Cabrel), son ingénieur du son a décidé de faire un vrai live, pour que tout le monde ait un souvenir. Comme le film tourné au Bataclan, caméra à l’épaule. Dick voulait qu’il y ait un souvenir de l’ambiance, qu’on voie ça sur scène. Donc toute la restauration s’est faite à partir de cette trace-là. Avec Rivers, il y avait une fraîcheur, quelque chose d’un peu enfantin dans le comportement, qui exacerbait toute la passion qu’il avait pour ça. Et ce que Cabrel a apporté dans l’histoire a fait que les deux ensemble, ça avait quelque chose d’assez magique. Donc ça s’est ressenti. Le groupe était redoutable, ambiance « rythmique de Presley à Las Vegas » ! Il n’y avait que des pointures. On était tous dans le bus, ensemble. C’était une vraie tournée rock’n’roll, mais avec tous les moyens !

RIVERS DENYS
Denys et Dick

“Le groupe était redoutable, ambiance « rythmique de Presley à Las Vegas » !”

Tes impressions, ton feeling par rapport à Dick ?
Quand j’ai commencé à faire de la musique, à monter les premiers groupes à Auxerre, entre 1964 et 67, toute la musique qu’on écoutait à cette époque-là, c’est celle qu’on a eu l’occasion de jouer à travers le R&R Show : Elvis Presley, Scotty Moore, James Burton… Quand tu veux faire de la guitare électrique, c’est le bon chemin à prendre ! Et Dick nous a permis de faire revivre cette jeunesse-là, où l’on découvrait et où on était mordu par tout ça. Donc, c’était le moment de pouvoir « faire parler la poudre », en gros. D’un coup, tu te dis : « Tiens, j’écoutais ça à 14 ans, bah là on peut le faire en grand devant tout le monde ! » Et en plus, à un certain niveau, avec Cabrel, une star, et Rivers, qui renaissait de ses cendres et entrait dans la légende ! Je pense qu’on a tous ressenti ça plus ou moins. Donc t’imagines l’impact que ça a pu avoir sur le jeu, le groove, le feeling. Tout était basé sur ces fondations-là ! Cabrel avait dû chanter ça entre dix-huit et vingt-cinq ans dans tous les bals qu’il faisait, et le fait d’avoir rencontré Rivers lui a donné les moyens de s’offrir ce plaisir-là. C’est pour ça que je pense que c’était assez exceptionnel.

RIVERS CABREL
Francis et Dyck

Comment est née l’idée de ce coffret ?     
Quand on s’est retrouvés avec Francis le 24 avril 2019, on était attristés. Je lui ai dit : « Maintenant que Dick est parti, je pense qu’on devrait essayer de faire quelque chose de tout ça. ». Cabrel m’a regardé avec des yeux comme des billes : « Putain, mais c’est une idée géniale. C’est le meilleur hommage qu’on puisse lui rendre ! ». Et il m’a laissé carte blanche pour que je puisse récupérer le maximum d’archives, et restaurer tout ce qu’on pouvait, en fonction du matériel qu’on avait. 

C’est là qu’intervient ton rôle de « réalisateur » de ce coffret…
J’avais retrouvé les CD de ce concert de Villeneuve-sur-Lot, en « retombant dessus » par hasard, et je m’étais dit qu’il fallait en faire quelque chose. La mort de Dick a boosté le projet. Francis, m’a dit : « Je trouve ça vraiment bien. Si on peut améliorer tout ça, il faut y aller ! Il faut foncer. » J’ai fait appel à Joël Atlan, l’assistant de Paul Scemama à la grande époque où j’avais fait mon premier album (« Crystal Hotel »), qui fait un peu partie de la fine fleur de Ferber. Et en fait, on a retravaillé non pas à partir de la bande (« passée au pilon » depuis 30 ans !), mais du CD. Il manquait des petits bouts, donc il a fallu « reconstituer » un peu des ambiances en prenant à droite à gauche, là où il y en avait dans le spectacle. Il y a eu des montages de cet ordre-là, pour rendre la chose lisible dans son ensemble. Ça a été un gros boulot, sans compter le travail sur les fréquences et sur le son. En fait, on a fait le travail de production finale, sauf qu’on l’a travaillé à partir d’une bande stéréo, et non pas en multipistes ! On a quand même réussi à donner un peu plus de gain aux voix, à recorriger un peu des fréquences, remettre un poil de reverb… de façon à avoir un vrai live, bien foutu, où t’entends tout quand même, tout en restant assez « rock’n’roll » ! Et en même temps, on a travaillé sur le son du DVD, à partir d’une bande caméra, en allant revoir Zycopolis Production, qui s’occupait des live de Cabrel. On a restauré un peu l’image, en optimisant le format. Il y a eu aussi du montage, parce que sur la VHS, il y a des morceaux qui n’étaient pas exploitables. Par contre, j’ai pu en utiliser cinq ou six qui n’apparaissent pas dans le CD (comme Return to Sender, par exemple). Donc j’en ai déduit 30 ans après qu’on ne devait pas jouer les mêmes morceaux tous les soirs ! A l’arrivée, le CD fait 19 titres plus 3 bonus, et le concert final du Bataclan fait 12 titres, dont cinq ou six communs aux deux.   

CABREL DENYS
Denys et Francis, Silvertone et 335

“L’alliage des deux sons de grattes, c’était vraiment bonnard ! Par moments, ça m’évoquait un peu Lennon/Harrison. Il y avait un truc de groupe.” 

On en arrive aux bonus…   
J’ai mis tous les éléments choisis sur la table, après j’en faisais part à Francis. On est toujours tombés d’accord ! En même temps que les CD, j’ai retrouvé aussi une VHS de répétition chez Hocco. Ça a beaucoup plu à Francis, qui a trouvé ça formidable. Et on a aussi l’explication du nom des « Parses ». Lorsque Dick a lancé cette formule : « Je suis très fier de faire partie des Parses ! », on était restés interloqués. C’est quoi les Parses ? Et Rivers a répondu : « Chez nous, dans la région (ça faisait un petit bout de temps qu’il était dans le sud-ouest), quand on se voit, on se dit : « Salut comparse ! ». Mais « com », c’est pas joli, je l’ai enlevé, donc il reste : les « Parses » ! (Rires). Ça fait un nom de groupe génial ! Et puis j’ai rajouté des extraits d’Autour du Blues, qu’on avait fait sur le même label il y a une quinzaine d’années. A cette époque-là, Rivers avait fait deux titres de Presley, My Baby Left Me et Mystery Train, où certains l’ont trouvé « au summum de son art ». Et j’ai gardé ses deux interviews, dont un avec Crapou ! Double raison ! Ça devient des documents et ça prend une valeur intense, puisque Dick est parti. L’image du chanteur de rock à proprement parler, c’était lui, c’est un peu le « patron » dans l’histoire. Cabrel a voulu que ce soit comme ça. Francis voulait être « entre le groupe et le chanteur », et il s’est accaparé le côté « Chuck Berry », qui va tout à fait avec sa démarche musicale à lui. C’est « dylanesque » quelque part. Entre Chuck Berry et Dylan, il y a des points communs ! Et Dick est vraiment dans le rôle de l’interprète, genre Elvis, son idole. Tout ça mis bout à bout fait que c’est quand même un truc assez réussi, très « passionné », et surtout très émouvant, quand on regarde ça trente ans après. 

Et cette chanson de Cabrel dans les bonus (Dans le rôle du rock) ? 
C’est une chanson que Francis avait écrite pour Dick. Francis voulait l’inclure dans le coffret. Excellente idée ! Le texte (en français) tombait vraiment dans le mille, tout en étant un duo posthume complètement assumé. Dick l’avait chantée dans un de ses albums il y a quelques années. Mais je pense que Francis voulait la récupérer, parce qu’il y tenait. Et il a pu insérer sa voix dans celle de Rivers, pour que ça garde le même état d’esprit que tous les morceaux du R&R Show. J’ai récupéré toute la session, et on a retravaillé autour de ça, avec la voix de Rivers et le click, en refaisant de « vrais » instruments (basse, guitares…). Et Francis a fait ses voix en dernier. • 

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