LARRY CORYELL

Larry Coryell (1944-2017)

 Larry Coryell 2

Hommage

Avec Larry Coryell, décédé dans son sommeil le 19 février à l’âge de 73 ans, disparaît un des « pères » de la « fusion ». Passeur de première grandeur entre le jazz et le rock (ou plutôt, dans son cas, entre le rock et le jazz ?), Larry est en effet, avec John McLaughlin, une des deux ou trois personnalités essentielles dans l’univers de la guitare à avoir initié ce mouvement, au tournant des années 60 et 70.

L’électrique et l’acoustique
Hormis le souvenir des pochettes de ses fameux albums Vanguard dans les magasins de disques, et la rediffusion par Radio France d’extraits de son concert avec Jack Bruce et Mitch Mitchell au festival de jazz de Nice en 1971, mes première émotions « en direct » concernant Larry remontent à un concert à l’Olympia, en compagnie de Philip Catherine, John Lee et Alphonse Mouzon (disparu également il y a peu). Les deux guitaristes s’y produisaient d’abord en duo acoustique (en première partie), avant de renouer avec la fée électricité, propulsés par cette rythmique de choc (en seconde partie). Si Larry et Philip avaient en effet publié successivement (en 1977 et 1978) deux albums qui avaient marqué le renouveau de la guitare acoustique dans le jazz (« Twin House » et « Splendid »), les premiers signes de ce regain remontent en réalité au tout début des années 70, Coryell et McLaughlin ayant eux-mêmes retenu cette option pour leur hommage à René Thomas (
René’s Theme), dans « Spaces » (paru en 1970). Il faut dire que la « tornade » hendrixienne venait de secouer le monde de la guitare, l’influence de ses incroyables textures sonores se faisant sentir à peu près dans tous les domaines, ébranlant au passage nombre de certitudes, jusque dans le monde du jazz. Larry et John étaient d’ailleurs de ceux qui avaient côtoyé de près le « Voodoo Child », partageant certaines de ses préoccupations en termes de recherches sonores. Face à cette « déferlante » électrique, le recours à l’instrument acoustique apparaissait donc comme une sorte de « refuge » ou « d’alternance » nécessaire.

Larry Coryell

Toujours le blues
On ne s’étonna donc pas, à peu près à la même époque que ce concert à l’Olympia, de retrouver Larry et Philip aux côtés de Stéphane Grappelli et du contrebassiste Niels Henning Orsted Petersen, dans une formule évoquant ouvertement le Quintette du Hot Club de France (l’album « Young Django » paraissant en 1979). Leur concert à Paris, à l’Espace Cardin, recueillit un franc succès, le côté « texan » de Larry (c’est en effet là qu’il est né, un beau jour de 1943) contrastant avec le lyrisme plus « européen » de Philip. Ce goût pour le blues, joint au caractère « incisif » de l’attaque, sera d’ailleurs une des constantes de son jeu, à la guitare acoustique comme à la guitare électrique. Mais, selon les périodes, Larry pouvait également revenir au « classicisme » de la guitare jazz. Gibson 175 en main, il s’exprimait alors avec beaucoup de bonheur et une élégante sobriété, sur un répertoire essentiellement constitué de standards. Telle est l’impression qui me reste d’un concert en quartet au New Morning, probablement situé dans le courant des années 90. La dernière fois que j’ai eu l’occasion d’entendre Larry sur scène, c’était au festival Django Reinhardt de Samois-sur-Seine, en 2004, lors d’un « Guitar Summit » qui réunissait Larry, Philip, Sylvain Luc et Stochelo Rosenberg. L’Américain s’y révélait égal à lui-même, tirant remarquablement son épingle du jeu sans rien perdre de son caractère, son phrasé bluesy dégageant de toujours surprenantes perspectives mélodiques.

Larry, Stephane Grappelli, Philip, NHOP
Larry, Stéphane Grappelli, Philip Catherine & NHOP
John McLaughlin
Larry, John & Paco

 

Pour mémoire
C’est donc après deux soirées à l’Iridium (situé à Times Square, sur Broadway) – là même où Les Paul officia chaque lundi de 1995 à 2009 –, que Larry nous a quittés. La guitare aura donc marqué sa destinée jusqu’au bout. Tout a commencé pour lui le 2 avril 1943 à Galvestone (Texas), avant que la famille ne s’installe à Seattle, en 1950. Son premier professeur de guitare lui fait découvrir le jazz (Johnny Smith, Tal Farlow, Barney Kessel…), avec lequel il se sent d’emblée des affinités, bien que ses premières expériences professionnelles s’effectuent dans des groupes de rock et de country and western. Découvert en 1966 par le batteur Chico Hamilton, il intègre son quintet (où il remplace le guitariste Gabor Szabo), gravant en sa compagnie un album emblématique de sa « première manière », « The Dealer » marqué par son style brillant, inspiré par le blues. Larry développe ensuite son langage au sein du quartet de Gary Burton, poussant plus loin le mélange entre techniques rock et jazz, entre autres au niveau de la sonorité (cf. l’album « Duster », 1967). Dès lors, Larry pose les bases de ce qui deviendra l’esthétique « jazz-rock », notamment à travers une série d’albums sous son nom pour le label Vanguard. « Spaces », paru en 1970, avec la collaboration de John McLaughlin, marque ainsi les débuts de ce qu’on appellera plus tard la « Fusion ». Larry poursuivra sur cette voie avec son groupe The Eleventh House, avec lequel il se produit de 1973 à 1976.

Larry Coryell 3
La suite de l’histoire est marquée par l’intérêt croissant que portera Larry à la guitare acoustique, et à ses différentes déclinaisons « électro » – période au cours de laquelle il s’illustrera fréquemment sur les guitares Ovation et autres Adamas, qui deviendront une de ses « signatures » sonores. Musicalement, ce retour s’orchestre d’abord en duo, avec le belge Philip Catherine, puis en trio, avec John McLaughlin et Paco de Lucia, pour la première mouture du fameux Guitar Trio, dont l’album « Castro Marin », paru en 1981 sous le nom de Paco de Lucia, porte heureusement la trace. Sur ces fondements installés entre le milieu des années 60 et le début des années 80, Larry égrènera sa carrière, privilégiant tour à tour telle ou telle veine de sa très large palette, revenant à intervalles réguliers aux formes plus « classiques » du jazz, dont il n’a jamais cessé d’être un adepte. •

The Dealer Duster Spaces Twin House
Splendid Young Django Castro Marin Castro Marin 2

Témoignages

John-McLaughlin 1John McLaughlin
« Encore un ami musicien qui nous quitte : cette fois, c’est un ami de très longue haleine, Larry Coryell.
J’ai rencontré Larry pour la première fois en 67 ou 68, lors de la semaine au Ronnie’s Scott, à Londres, du groupe de Gary Burton, dont il faisait partie. J’étais très agréablement surpris : je n’avais jamais entendu parler de lui. Larry était déjà sur la route du ‘fusion-jazz’, mais dans une manière vraiment musicale.
La deuxième fois que nous nous sommes rencontrés, j’étais déjà à New York, et on est devenus copains. Larry était un type bien. Aucune prétention, simple et sympa. Au bout d’un an, on s’est retrouvés quasi-voisins et bons amis.
Il m’a invité à enregistrer un ou deux morceaux sur son album, “Spaces”, ce qui m’a fait un grand plaisir. Il est même devenu un disciple de mon propre Guru de méditation, Sri Chinmoy. Donc, on avait plein de choses en commun !
Quelques années plus tard, en 78 ou 79, j’ai invité Larry à faire partie du premier Guitar Trio, avec Paco de Lucia et moi-même. Larry était un musicien hors du commun, qui avait comme moi autant d’amour pour la guitare acoustique que pour la guitare électrique. Je n’oublierai jamais ce premier Trio.
Malheureusement, au bout de l’année 80, Larry avait tellement de problèmes aux États-Unis, qu’il a été obligé de quitter le Trio, et Paco et moi, nous avons continué le Trio avec Al Di Meola.
Nous sommes restés en contact, et graduellement, Larry est retourné à ses racines du jazz classique, avec beaucoup d’aventures comme soliste. Il m’a même remplacé pour quelques concerts en Inde avec Shakti, après un accident qui m’avait empêché de jouer.
Je l’aimais beaucoup : grand musicien, grand sens de l’humour, il va me manquer ! »


Larry était un musicien hors du commun, qui avait comme moi autant d’amour pour la guitare acoustique que pour la guitare électrique.


 

Philip CatherinePhilip Catherine
« Nous avons passé deux jours ensemble, tout récemment, à l’occasion d’un concert en duo à la Philharmonie de Berlin le 24 janvier, un événement organisé par la compagnie ACT (« Art of Duo »). Nous avons pu assister en passant aux répétitions d’une œuvre du compositeur américain John Adams, avec le chef d’orchestre Simon Rattle : une musique complexe, jouée par un orchestre magnifique. On a écouté ça avec Larry pendant deux heures. Fantastique ! Il était en pleine forme… Le soir, on a joué
Manha de Carnaval, Homecomings, Miss Julie… On avait répété aussi The Shadow of your Smile… On n’avait pas trop envie de lire ! Jouer des standards avec lui, c’est ce que j’ai préféré ce jour-là !
J’ai rencontré Larry au festival de Montreux. C’était une idée de Claude Nobs. La première fois (en 1975 je crois), il jouait avec Steve Kahn, et moi en solo avec des bandes magnétiques (cf. mon album « Guitars »). L’année suivante (1976), il est revenu avec The Eleventh House, en compagnie de John Lee et de Gerry Brown (le batteur de « September Man »). Nous avons joué quelques morceaux en duo à Montreux et au festival de jazz de Berlin, et nous avons eu un gros succès. Si bien que Siegfried Loch, qui s’occupait alors de Warner en Allemagne, nous a fait enregistrer l’album « Twin House » à l’hiver 1976 à Londres, aux Studios Olympic. Nous étions avec nos deux guitares acoustiques, dans une grande salle… A cette époque, nous avons beaucoup tourné en duo en Europe, en première partie de The Jean-Luc Ponty Experience…
Larry était un maître dans un style très chantant à la guitare, y compris à la disto, et avec une très bonne technique. C’était un guitariste très versatile, de « jazz-rock » comme on disait, avec un côté très blues… Quand je suis arrivé pour répéter avec lui en janvier, je l’entendais se chauffer sur une pièce classique, d’Albeniz je crois, qu’il jouait aux doigts sur cordes métal, et je me disais : « Il le joue bien ce morceau-là ! »… Larry a beaucoup analysé la musique de Stravinsky (il a même joué une réduction du
Sacre du Printemps
pour guitare). Il connaissait bien beaucoup de choses. D’après des conversations que j’ai eues avec lui au téléphone, il était en train d’écrire un opéra. Alphonse Mouzon et lui sont partis tous les deux l’un après l’autre. C’est triste ! »


Larry était un maître dans un style très chantant à la guitare, un guitariste très versatile, avec un côté très blues et une très bonne technique.


 

Avec Gary Burton (Berlin, 1967)

 

Avec The Eleventh House (Oslo, 1975)

 

Avec Philip Catherine (Montreux, 1977)

 

Avec John McLaughlin & Paco de Lucia (Londres, 1979)

 

En solo, Love is here to stay (Kirtland, 2007)

 

 

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