Les 70 ans de l’atelier Favino
L’atelier Favino a fêté ses 70 ans en 2016. Ce grand nom de la lutherie française a d’abord été porté par Jacques Favino, créateur de l’atelier en 1946, puis par son fils Jean-Pierre, qui a repris le flambeau au début des années 80.
Cet hommage évoque successivement la mémoire de Jacques Favino (disparu en 1999), avec un article d’Arnaud Legrand, à partir d’un entretien donné par le luthier à Rosyne Charle en 1991, puis le présent de la lutherie Favino, à travers un entretien avec Jean-Pierre Favino capté dans son atelier en novembre 2015.
Jacques Favino, une légende de la lutherie
Dans l’atelier de Jean-Pierre Favino
Après avoir fréquenté l’atelier familial de la rue de Clignancourt depuis sa plus tendre enfance, Jean-Pierre Favino se retrouve « officiellement » à l’établi aux côtés de son père à partir des années 70, avant de reprendre définitivement le flambeau au tout début des années 80. Son installation à Castelbiague (Haute-Garonne) à l’âge de 38 ans marquera un tournant dans sa façon de vivre le métier.
Un des premiers contacts du tout jeune Jean-Pierre avec l’atelier paternel aurait pu être fatal quant au choix de son futur métier ! Les tout premiers souvenirs qu’il en garde remontent en effet à un malheureux incident survenu à l’âge de 4 ans, une brûlure « en posant la main sur le fer à plier » (outil qui permet de former les éclisses à chaud). Fort heureusement, d’autres sensations et émotions viendront bientôt balayer cette première impression, comme les odeurs (de bois, de colles, de vernis…), et bien sûr les sons (« les guitaristes se donnaient rendez-vous pour faire des bœufs dans l’atelier, ils essayaient les guitares en même temps ! »).
Très jeune, le petit Jean-Pierre dessine, avec quelques « prédispositions », puis commence la guitare vers l’âge de 13 ans. Un ami un peu plus âgé l’oriente alors vers les Arts Appliqués. Jean-Pierre y prend d’abord des cours, tous les lundis soirs (« On faisait de la nature morte, du nu, des choses comme ça… »), avant de passer le concours, auquel il est reçu un ou deux ans plus tard. Dès lors, l’idée de devenir luthier commence à faire son chemin… « Mon père me demandait de venir de temps en temps pour donner des petits coups de mains : pièces, contre-éclisses, barres d’harmonie, livraisons… ». Comme Jean-Pierre a « les mains qui bougent facilement », il prend goût à la chose. Ses quatre années d’études terminées, sa décision est prise, malgré les mises en garde de son père, qui tient à s’assurer que son fils ne choisisse pas un tel métier à la légère.
Si tu veux les faire bien les guitares, il faut que tu prennes ton temps
En matière de lutherie, auprès de ce père-là, Jean-Pierre apprendra « pratiquement tout ». Mais la légendaire modestie de Jacques transparaît à travers cette recommandation en forme de devise : « Ce sont les clients, les musiciens qui vont t’apprendre ton métier ». L’atmosphère de la rue de Clignancourt est studieuse (« travail, travail, travail… », 8 heures par jour, du lundi au samedi). On y fabrique « tous styles de guitares ». Après le départ de son père et des deux employés, Ugo et Gino, Jean-Pierre se retrouve seul à l’atelier en 1984. Mais assez vite se fera sentir le besoin de « quitter la ville » (« le bruit, les odeurs, trop de gens, trop de choses… »), d’autant que l’atelier de la rue de Clignancourt était « devenu un peu comme une boutique », Jean-Pierre ayant trop peu de temps pour fabriquer et restaurer. Son installation à Castelbiague au début des années 90 est donc à la fois une nécessité et le fruit d’une longue réflexion.
Avec plus de calme, moins de coups de téléphone, Jean-Pierre a plus de temps pour se consacrer à son travail et trouve son rythme. « Si tu veux les faire bien les guitares, il faut que tu prennes ton temps », déclare-t-il, avant d’ajouter, « les années venant, tu mûris, tu prends du recul… ». Bien qu’aujourd’hui sa production tourne principalement autour des modèles Brassens et des Jazz, le luthier tient à maintenir quelques « parenthèses » réservées à l’expérimentation et à la création pure. « Ce que procure le son des guitares, enchaîne-t-il, c’est un plaisir, qu’elles soient classiques, jazz ou électriques ».
Aujourd’hui, sa vision du métier, en forme de profession de foi, constitue une sorte de prolongement de l’intuition de son père : « Moi, je fais la moitié du travail, je construis l’instrument, qui va vous servir à vous. Je construis un instrument, c’est pas un « chef-d’œuvre », c’est un instrument de travail, un instrument de musique, et c’est vous qui allez le faire marcher, le faire vieillir… Plus vous lui demanderez, plus il va vous donner ». Là réside essentiellement la satisfaction du luthier, notamment lorsqu’il revoit ses clients. « Plus une guitare est jouée, plus elle se bonifie ». Chez Favino, le réglage des guitares est d’ailleurs garanti « à vie ».
Remerciements à Luc Degeorges, Adrien Moignard et Arnaud Legrand
Modèles Jazz de Jacques et Jean-Pierre Favino joués par Adrien Moignard. Modèle Classique Favino de 1981 joué par Marc Rouvé.
Michel Gentils présente ses guitares Favino
Spécialiste de la 12 cordes et “aficionado”des guitares Favino, Michel Gentils présente successivement un modèle Folk 3 rosaces 12 cordes, un modèle guitare-sitar à double manche avec cordes sympathiques, et le modèle Satya que Jean-Pierre Favino créa à l’occasion du 50e anniversaire de l’Atelier.
Le modèle Brassens de Favino
présenté par Dominique Cravic
Un soir à Bobino, Georges Brassens donne à son ami Pierre Louki la “Favino N°6” (le chanteur avait pris l’habitude de numéroter chacune de ses guitares à l’aide d’un chiffre qu’il gravait sur la table, près de la touche). C’est précisément cette guitare (qui a donc appartenu au grand Georges !) que nous présente Dominique Cravic. (Remerciements à la famille de Pierre Louki)