AARON MARSHALL

 

Aaron Marshall

Chanson, mélodie et feeling !

De passage à Paris avec son groupe Intervals, Aaron Marshall s’est livré au jeu de l’interview « backstage », juste avant son concert. « The Way Forward », nouvel album de cette formation créée en 2011 à Toronto, s’inscrit dans le prolongement de « The Shape of Colour », paru en 2015 : une musique instrumentale « progressive », proposant des textures sonores résolument modernes.

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Ma première question concerne ton changement de style depuis « The Shape of Colour ». Avec cet album, tu as décidé de changer complètement de direction, notamment par rapport au chant. Comment as-tu abordé cette évolution ? Qu’est-ce qui t’a donné envie de t’exprimer en ayant exclusivement recours à la guitare ?
Avant que je fasse des albums avec un chanteur, j’avais déjà enregistré deux albums instrumentaux. Travailler avec un chanteur était donc pour moi une sorte « d’expérimentation ». Mais je suis super fier de « The Shape of Colour », c’est l’album qui m’a vraiment propulsé, qui m’a permis de faire le tour du monde : 135 concerts, je n’en avais jamais fait autant ! La différence principale, qui a marqué beaucoup de gens, est sans doute le changement d’accordage. Repasser en accordage standard a vraiment modifié mon approche, et a représenté pour moi une sorte de « limitation », comme une « contrainte » : voir si je pouvais continuer d’écrire sans cette corde grave supplémentaire de la guitare à sept cordes. Je voulais juste me retrouver avec cette approche « honnête » de la musique, savoir où j’en étais personnellement à ce moment de ma vie. Le nouvel album marque donc l’évolution naturelle de tout ça.

Ecris-tu tout seul ou avec ton groupe ? Quel est ton mode de fonctionnement ?
Ça a toujours été : moi, la guitare, Logic Pro et la batterie programmée. Mais pour ce nouvel album, ce qui a été vraiment cool, ce qui a impacté le flow, la façon dont il a été écrit, l’esthétique sonore, c’est que pour un ou deux morceaux, j’ai décidé d’écrire en coopération avec un ami guitariste de Norvège, qui s’appelle Owen. C’est un super guitariste, qui a d’énormes compétences en design du son, synthés, etc. Donc je lui ai demandé s’il voulait collaborer sur un titre, du style « Commençons par écrire une chanson et voyons ce qu’il se passe ! » Le résultat était tellement satisfaisant, il y avait un feeling tellement agréable, que je lui ai demandé s’il voulait retravailler des chansons qui étaient déjà terminées ou presque terminées. Je lui ai donc envoyé ce que j’avais déjà composé, il a fait son truc dessus, et ça nous a tellement plu que c’est devenu le son de l’album !

Peux-tu m’en dire plus sur ta guitare ? Quel modèle as-tu en mains ?
C’est une Suhr ! Ce modèle particulier me suit depuis 2014. C’est une sorte de Strat modifiée, que je n’avais pas dans ma collection. John Suhr était un maître constructeur à l’atelier Fender. Suhr est sa marque perso. Ce sont des instruments très précis. Ce que j’aime avec cette marque, c’est qu’ils savent faire du moderne comme du vintage. C’est une firme qui fait du matériel incroyable, qui colle parfaitement avec mes goûts perso. J’adore passer sur du classique comme sur du moderne, du type S à une guitare telle que celle-ci. Ce modèle-ci, c’est la Modern Custom, avec manche traversant en érable et corps en érable massif, ce qui est super solide pour les tournées. Je tourne aussi avec une Aristides 070 (la branche d’Aristides qui vient de Harlem).

A mon sens, il y a un certain paradoxe dans le son de guitare du mouvement dont tu fais partie. Tout le monde cherche à être « unique », et bizarrement, tous les groupes du moment, comme Polyphia, Nick Johnston et autres, ont un son très similaire. Qu’en penses-tu ?
Je n’en suis pas si sûr ! Je pense que quand on parle de « mouvement », et qu’on est les premiers à faire partie de la vague (c’est très vrai, notamment dans le Hip-Hop), il n’y a pas juste un gars qui « porte le drapeau », il y en a beaucoup ! C’est typiquement ça un mouvement. Je pense juste qu’on est dans la même musique, avec une approche de la guitare que l’on aime tous beaucoup. Mais je n’arriverais pas à « quantifier » les choses. On est tous l’esprit léger sur le visuel, j’en parlais pendant la master class avec Nick. Pour moi, Nick est le Hans Zimmer de la guitare blues. Il s’inspire du cinéma, et on peut facilement dire d’où il vient, quelles sont ses influences : Stevie Ray Vaughan, Yngwie Malmsteen, Van Halen, le tout couplé à son amour pour les compositeurs de grands films classiques. Tu obtiens ce son hyper théâtral et dramatique porté par le blues, il est vraiment unique. Pour moi, c’est plutôt un amour de ce avec quoi j’ai commencé, combiné avec mes influences plus récentes, comme Protest the Hero, Between the Buried and Me, et ce qui se dégage de mes derniers morceaux. Globalement donc, les années 90, dans la façon d’utiliser et présenter consciemment les synthés, pour transmettre cette « vibe » de jeux vidéo rétros, alors que les progressions et harmonies sont elles plutôt tirées de mes influences premières de jeunesse, comme Destiny’s Child, TLC, les Backstreet Boys, ou plus tard dans les années 90, Justin Timberlake – toutes ces choses pour lesquelles j’ai une passion, car j’ai grandi avec cette musique. Tout le monde se rejoint effectivement sur ces influences. Y compris Polyphia. Leur premier album est très ancré dans le metal. Mais plus récemment, ils ont délibérément pris un chemin qui évolue vers la culture pop moderne. Je pense qu’à la fin des années 80, là où la guitare était à son apogée dans la musique, ce qui prévalait était un genre de « backing track », avec beaucoup de notes par-dessus. Et je ne dis pas ça d’une façon péjorative ! Dans ces années-là, tout le monde avait quelque chose à prouver, et tout le monde donnait dans la facilité et la précision, la guitare principalement « à la surface ». Mais personnellement, je m’investis avant tout dans la composition, en prenant du recul par rapport au côté « sportif » de l’instrument, qui ne m’intéresse pas en tant que tel. J’aime faire de la musique cool, qui me plaît, et parfois, ça demande de la technique, qu’il faut travailler. Et c’est normal, car c’est quelque chose qui me plaît aussi ! Mais ce n’est pas une priorité. La chanson, la mélodie et le feeling sont les priorités !

Site : www.intervalsmusic.net

 

© Thomas Jamet
© Thomas Jamet