DOMINIQUE CRAVIC

 

 

Dominique Cravic

Entre blues, jazz et musette…

© Esther Berelowitsch
© Esther Berelowitsch

Dans son dernier album en date, « Gus versus Tony » (distribué par Frémeaux & Associés), Dominique Cravic rend hommage aux maîtres de l’accordéon swing, Gus Viseur et Tony Murena. La petite phalange dont il s’est entouré pour l’occasion (l’accordéoniste Daniel Colin, la violoniste Mathilde Febrer, le contrebassiste Jean-Philippe Viret, la chanteuse Claire Elzière…) est une sorte d’émanation des Primitifs du Futur, formation « historique » née de la rencontre de Dominique avec le dessinateur Robert Crumb, que l’on aura le plaisir de retrouver le 16 février au Studio de l’Ermitage (Paris).

Guitariste autodidacte d’abord attiré par le rhythm and blues, le jazz, puis le musette, Dominique Cravic fera ensuite ses classes auprès du concertiste Ramon Cueto. Il en gardera un goût pour le jeu aux doigts, doublé d’une passion non dissimulée pour la musique brésilienne, qu’il aura l’occasion de partager notamment avec Henri Salvador. Ses interventions en solo d’accords et rythmiques swing sur « Gus versus Tony » en portent indéniablement la trace…

L’accordéon
« 
Quand j’étais vraiment tout jeune, je jouais dans des bals dans ma région en Normandie… On faisait du rhythm and blues, un genre de jazz, mais aussi tout le répertoire nécessaire pour les bals : tangos, valses, javas, paso-dobles… Et je m’étais aperçu que les accordéonistes, en général, étaient des gens à la fois évolués sur leur instrument, qui savaient lire, avaient un style, etc… mais un peu en décalage par rapport à cette époque (plus rock, « yé-yé »). Donc j’avais des sentiments mixtes par rapport à l’accordéon… »

Cordes et Lames
« 
Au milieu des années 80, j’ai monté un groupe qui s’appelait Cordes et Lames, avec Francis Varis, un quartet basse, batterie, accordéon et guitare… On s’est réapproprié un peu tout ce répertoire du musette, qui était vraiment pas mal tombé. Les seuls accordéonistes qui trouvaient grâce, sur le marché français, étaient ceux qui accompagnaient les grands chanteurs ou chanteuses (Jacques Brel, Juliette Gréco, Barbara…) : Roland Romanelli, Marcel Azzola… »

Didier Roussin
« 
Je jouais beaucoup avec Didier Roussin, qui a écrit ce gros livre, Histoires de l’accordéon. On avait des domaines de prédilection qui se recoupaient : jazz, blues, et puis chanson… Quand on s’est rencontrés, on écoutait beaucoup de blues des années 20 (Big Bill Broonzy, Reverend Gary Davis, Blind Blake…), et on a monté un trio qui s’appelait « Blues Story »… Au début, c’était Olivier Blavet qui jouait l’harmonica chromatique, après ça a été Jean-Jacques Milteau… On faisait le circuit, on jouait beaucoup à Utopia… Après, il y a eu le côté « réappropriation » du patrimoine français. On a commencé à s’intéresser beaucoup au musette, à la chanson ancienne, etc… A ce moment-là, Dédé a repris le flambeau chez Jo Privat. »

Les Primitifs du Futur
« 
Au début, on était cinq-six : Daniel Huck, Jean-Jacques Milteau, Guy Lefèbvre, Didier Roussin… Puis, peu à peu, la famille s’est vraiment étoffée… Les Primitifs, ça s’est fait à partir d’une rencontre avec Robert Crumb, qui était fan de musette et de musique auvergnate. Donc, on s’intéressait au blues et lui plus à la musique française. On a sorti un premier album en 1987. Ensuite, il y en a eu un tous les 7 ans, parce qu’on n’est pas plus pressés que ça… En fait, le nom m’est venu comme ça, parce qu’il y a ce côté de réappropriation d’un temps ancien… On se remet sur des choses relativement « primitives », mais en même temps il y a une espèce de volonté (même si on n’est pas très « militants ») de faire avancer… Comme on était en fin de siècle, l’idée était de faire passer des tas de choses à l’an 2000, d’éviter que toutes ces belles cultures, toutes ces musiques restent lettres mortes. »

La lettre et l’esprit
« 
On essaie à la fois d’être fidèles à la lettre, c’est-à-dire qu’il ne s’agit pas de complètement transformer cette musique… et puis en même temps, grâce à la tournure d’esprit qu’on a, et aux rencontres qu’on fait, on détourne tout ça, et on en fait finalement quelque chose de nouveau d’une certaine manière, de contemporain… »

La place de la guitare
« 
Je fais à la fois l’accompagnement, mais avec des variations, des passages de basse, des petits licks, des riffs, qui s’inscrivent vraiment, et qui font une espèce de réseau enchevêtré entre la basse, la guitare et le violon… On est parfois tous les quatre en train de se faire des espèces de petits « réseaux » comme ça, très proches, d’une certaine manière, de la polyphonie des premiers orchestres de la Nouvelle Orléans. On sait où on va, on sait quelle est la mélodie, où vont les harmonies, mais en même temps, on cherche soi-même à composer tout en jouant, en s’accompagnant l’un l’autre. Et on crée je pense un son assez particulier, une couleur à nous. »

Henri Salvador
« 
Prends ta guitare, on va aller voir un vieux chanteur, c’est pour faire quelques maquettes avec lui. » C’est ainsi que Jacques Erard, ingénieur du son et voisin de Dominique, le conduit… place Vendôme et que les deux se retrouvent « chez Henri » ! Salvador fait partie des rencontres qui ont compté dans la vie de Dominique, artistiquement, humainement, mais aussi pour la reconnaissance du « métier ». « Salvador était un super guitariste, très fort, un musicien « de charme », mais vraiment très costaud. » Chaque soir, c’est avec « Corcovado » (adapté en français pour Henri par son Modo) que Dominique ouvre le show…

Tal Farlow
« 
Si vous ne connaissez pas Tal Farlow, je vous le recommande ! » conseille Dominique, dont le jazz reste « la musique préférée », et qui ne tarit pas d’éloges sur ce gentleman « génial et élégant », avec lequel il a eu l’occasion de tourner. « Quand tu jouais à côté de Tal, c’était super agréable, en même temps il fallait quand même que tu fasses attention… A chaque fois que je jouais un solo, j’ai plein d’images… Il applaudissait sur scène… comme quelqu’un d’extrêmement courtois ! » •

 

Écrit par